Pourquoi Inuk a choisi de créer son propre mécanisme de certification
“Et vos projets, ils sont certifiés ?” La réponse courte c’est “oui”, mais pour bien comprendre ce que certifier signifie pour Inuk, on a aussi écrit une réponse longue.
Par Thaïs Drozdowski, CEO et co-fondatrice d'Inuk
Inuk est une entreprise française, spécialiste de la contribution carbone. Inuk a développé en 2018 la première technologie de traçabilité appliquée au crédits carbone. Nous proposons aux entreprises des crédits carbone made in Europe parmi les plus fiables du marché. Nos équipes accompagnent aussi au quotidien des entreprises de toute taille dans leur transition bas-carbone.
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Il y a quelques mois, nous avions publié un long article pour répondre aux questions que l’on nous pose souvent sur la compensation carbone — que nous préférons d’ailleurs appeler “contribution carbone”.
Aujourd’hui, nous avons envie de répondre à une autre question qui revient fréquemment : “Et vos projets, ils sont certifiés ?” La question est simple ; la réponse l’est beaucoup moins. Pas parce que nous avons quelque chose à cacher, mais au contraire parce que nous avons tellement à dire sur le sujet qu’il peut être difficile de savoir par où commencer. Voici donc un article pour partager avec vous ce qu’on a nous-même appris en nous posant la question de la certification.
1. Comprendre le paysage des labels et de la certification
Commençons par l’état de l’art : qu’est ce qu’on entend aujourd’hui par “projet certifié” ? En règle générale, il s’agit d’un projet de compensation carbone qui a reçu un ou plusieurs labels de certification.
Les certifications de projets de compensation carbone ont un objectif bien précis : certifier qu’un projet a bien permis d’éviter ou de séquestrer une quantité donnée de gaz à effet de serre (on parle souvent de tonnes de CO₂ évitées, ce qui est un abus de langage ; pour être plus exact, on devrait dire “tonnes d’équivalent CO₂ évitées”).
Il est important de savoir qu’il n’existe pas de standard international officiel : toutes les certifications existantes sont des initiatives privées, publiques ou issues d’ONG, qui ne répondent pas à des normes précises ou régulées. Chaque organisme certificateur applique ses propres règles et critères. Certains par exemple ne labellisent des projets que dans des pays donnés, d’autres que certains types de projets. Exemples : Verra, The Gold Standard, Clean Development Mechanism, Label Bas Carbone, Inuk (eh oui, on est petits mais on est là).
Avant de continuer, il nous paraît important de préciser qu’il est très bien que ces labels et certifications existent, tant qu’ils permettent d’identifier de réels projets de compensation et pas des machines à greenwashing. Toutefois, ce qu’on a appris en regardant ce domaine de plus près nous a menés à remettre en question non seulement la manière dont certaines de ces certifications sont mises en place, mais aussi l’ensemble de la chaîne de valeur.
Pour autant, nous ne sommes pas là pour pointer du doigt tel ou tel acteur. Certaines pratiques sont imparfaites et on comprend pourquoi, c’est difficile de faire mieux. L’ambition de cet article est de vous donner un maximum de “billes” pour comprendre comment la certification fonctionne, et quels sont les écueils potentiels.
2. Pourquoi faire certifier son projet ?
Penchons-nous donc maintenant sur le fonctionnement des labels de compensation carbone. Pour cela, prenons l’exemple de José, qui monte un projet de solaire thermique en France. Le solaire thermique, concrètement, c’est utiliser la chaleur du soleil pour chauffer de l’eau qui va être utilisée pour des usages agricoles ou industriels. La beauté du projet de José, c’est que non seulement il produit de l’énergie — de la chaleur en l’occurrence — mais en plus, il permet de le faire sans émettre de CO₂, ou presque. En effet, pour produire de la chaleur, on peut utiliser plusieurs sources d’énergie : de l’électricité, du gaz naturel, du fioul, qui émettent plus ou moins de CO₂ (dans cette liste, le pire c’est, de loin, le fioul) — ou l’énergie solaire, qui en émet beaucoup moins.
José propose d’installer son projet à côté de l’exploitation agricole de son voisin, qui va employer la chaleur solaire pour chauffer une serre. Jusqu’ici, le voisin utilisait du gaz ; en mettant en place ce dispositif, il peut désormais chauffer sa serre en émettant beaucoup moins de CO₂. Ce sont des émissions évitées.
Pour financer son projet, José demande à son voisin de lui payer cette chaleur. Son voisin voudrait bien, mais ces derniers temps, le prix du gaz baisse et la solution de José lui reviendrait donc plus cher… Il hésite. José, de son côté, lui fait déjà son meilleur prix. En dessous, il ne rentre pas dans ses frais.
C’est ici que la contribution carbone peut jouer un rôle : la solution de José coûte plus cher, c’est vrai, mais elle rend un très grand service, celui de proposer une énergie décarbonée. On pourrait rémunérer ce service en quantifiant le nombre de tonnes de CO₂ évitées grâce à José — des crédits carbone, donc — et en les vendant à des acteurs voulant mettre en place une stratégie de contribution carbone.
De cette manière, José peut proposer son projet à son voisin à un prix acceptable, car il touche une autre source de rémunération grâce aux tonnes de CO₂ évitées par son projet.
Le problème de l’expertise
Si José choisit cette solution, comment doit-il s’y prendre ? Il a besoin de plusieurs expertises :
  • Il lui faut faire un bilan carbone pour comprendre exactement combien de tonnes de CO₂ son installation permet d’éviter.
  • Ensuite, il doit trouver à qui vendre ses crédits carbone.
  • En plus, comme il a envie de faire les choses bien, il doit s’assurer que son installation continue d’éviter des tonnes de CO₂ dans le temps.
Mais le métier de José, c’est d’installer des projets de solaire thermique : il n’est pas expert carbone, il n’est pas en lien avec des entités souhaitant mettre en place des stratégies de contribution carbone, il ne sait pas développer des logiciels de suivi. En bref, il sait faire son métier, et son métier, ce n’est pas de faire de la contribution carbone.
José va donc devoir aller chercher cette expertise auprès d’organismes de certification privés, qui vont le mettre en lien avec des cabinets d’audit, puis tout vérifier et lui donner la certification qui lui permettra de commercialiser ses crédits carbone.
Le problème, c’est que cette expertise va lui coûter cher, entre les cabinets d’audits, les bilans carbone et les études d’analyse du cycle de vie (ACV). Si cher qu’en fait, il ne va plus rentrer dans ses frais. Son projet est petit, et ne peut pas supporter de tels coûts. À ce stade, le plus probable est que José lâche l’affaire.
Cet exemple très simple illustre un écueil bien connu. Bien sûr, il faut vérifier que les tonnes de CO₂ ont bien été évitées. Mais les organismes de certification reposent sur des méthodes classiques d’audit et de vérification qui n’ont pas été pensées pour minimiser les coûts. Elles n’ont pas non plus été pensées pour faciliter la valorisation des tonnes de CO₂ évitées, en mettant en contact les porteurs de projets avec d’éventuels acquéreurs de crédits carbone.
Résultat : les petits et moyens projets se retrouvent écartés du système car ils n’ont ni l’expertise ni les moyens de financer la certification. Ce qui est ironique, c’est que souvent ce sont ces mêmes projets qui sont le plus susceptibles d’avoir des bilans carbone performants (notamment parce que, du fait de leur surface réduite, ils sont plus faciles à insérer dans un territoire avec peu d’aménagements et sans devoir artificialiser des sols).
Et même si ces petits producteurs trouvent le moyen de se faire certifier, les ennuis ne sont pas finis.
Le problème des intermédiaires
Retrouvons ici José, et partons du principe qu’il a décidé de mener son projet de vente de crédits carbone jusqu’au bout. Une fois passé le processus de certification, son projet obtient un label assurant qu’il évite bien des tonnes de CO₂.
Se pose donc la question de comment les vendre. C’est ici qu’interviennent différents intermédiaires, plateformes ou structures spécialisées, qui commercialisent les crédits carbone de José. Bien sûr, pour se rémunérer, ils prennent une commission sur la vente de ces crédits.
Déjà que José avait perdu tout espoir de rentrer dans ses frais avec le coût de la certification, s’il doit en plus rétrocéder une partie de la vente de ses crédits carbone sous forme de commission, l’équilibre financier est encore plus mis à mal.
En plus, ces intermédiaires sont parfois plusieurs : une plateforme, qui est en fait en relation avec une organisation locale, qui elle-même est en relation avec une structure qui porte plusieurs projets de même type, qui elle-même contractualise avec José. Tous ces intermédiaires se rémunèrent, ce qui détériore encore plus les choses pour José.
En bref, sans circuit court du crédit carbone, les barrières économiques à l’entrée sont dissuasives pour les petits projets.
Le problème du suivi
Troisième gros problème, qui est lié au précédent : avec autant d’intermédiaires, il est très compliqué d’obtenir une information fiable et à jour sur le projet et le CO₂ qu’il permet d’éviter.
Ce sujet touche tous les acteurs de la contribution carbone, et même les organismes certificateurs qui ont pignon sur rue. Selon une étude publiée en avril 2021 par Compensate, une ONG finlandaise qui fait du courtage en compensation, 90 % des projets analysés ont soit compensé moins que prévu, soit n’étaient pas permanents, soit ont eu des effets négatifs pour les communautés locales, soit une combinaison de tout cela. Autant dire que les résultats ne sont pas franchement au rendez-vous. Pire : un seul et même projet peut être vendu sur plusieurs plateformes, ce qui signifie qu’on vend plus de crédits carbone qu’il n’en existe.
À cette question du suivi dans la durée s’ajoute la qualité des crédits carbone certifiés. Car la vérité, c’est que certains des standards existants ne sont tout simplement pas au niveau. Nous y avons été confrontés récemment, en utilisant les méthodologies du Clean Development Mechanism, qui font école en la matière. Nous avons été très surpris de constater que pour certains projets, la méthodologie ne prend pas en compte les émissions associées au projet en lui-même. C’est-à-dire qu’elle se concentre uniquement sur les tonnes de CO₂ qu’il permet d’éviter, sans en soustraire les (inévitables) émissions qu’il génère.
Par ailleurs, la documentation demandée pour valider les crédits carbone associés à un projet est très souvent déclarative. On grossit le trait, mais dans certains cas, cela veut dire que vous pouvez dire ce que vous voulez : personne ne va aller vérifier sur le terrain, ou alors pas assez souvent.
Enfin, non seulement les critères en eux-mêmes ne sont pas suffisamment précis, mais en plus le suivi n’est pas assez fin : il n’a lieu que tous les trois à cinq ans, en général quand les crédits carbone sont déjà réalisés, ce qui est trop tard. Il n’est donc souvent pas possible de certifier qu’un projet génère bien les crédits carbone qu’il est censé produire à un instant “t”… alors même qu’il a sa certification.
Le problème de l’absence d’innovation
Face à tous ces défauts, il doit bien y avoir des solutions. En 2020, justement, une task force internationale a été créée pour réunir tout l’écosystème et réfléchir à un marché de la compensation carbone volontaire plus large, plus fiable et plus transparent. Autant vous dire qu’on était très enthousiastes à l’idée d’en être membres.
Mais nos espoirs ont vite été douchés lorsque nous avons participé aux premiers groupes de travail — si bien que nous nous sommes désengagés. Nous avons constaté une absence cruelle d’innovation : on parle encore de créer un énième label avec une énième méthodologie, sans se pencher sur les vrais problèmes que sont le prix, le suivi, la transparence. Or, tous ces points très concrets empêchent des petits et moyens porteurs de projet, comme José, d’accéder au marché des crédits carbone, alors même qu’ils proposent des solutions vertueuses d’un point de vue environnemental.
En réalité, dans ce secteur malgré tout bien établi, tout le monde se tient par la barbichette, ce qui crée une inertie désespérante. Les mécanismes de certification ont intérêt à maintenir la bureaucratie existante, puisque c’est leur fonds de commerce. Et pour les organisations qui y ont recours (sauf celles dont la démarche est exigeante et sincère), ce n’est pas bien grave, puisqu’elles obtiennent quand même le label qui prouve leur engagement contre le changement climatique.
Bref, tout un écosystème prospère sur ce fonctionnement, qui est pourtant très peu performant et favorise la fraude à la compensation carbone. Mais le plus dommage, c’est peut-être qu’il exclut de nombreux acteurs dynamiques, innovants, locaux et réellement engagés dans des modes de production d’énergie plus propres.
3. Créer notre propre certification
Face à tous ces trous dans la raquette, nous avons donc décidé de mettre au point notre propre mécanisme de certification. Nos objectifs étaient simples :
  • Garantir la transparence et la fiabilité de l’information sur les tonnes de CO₂ effectivement évitées et les crédits carbone ainsi générés ;
  • Permettre une certification en temps réel, hors des longs délais imposés par les audits, et ainsi assurer un suivi constant des projets ;
  • Réduire les coûts de la certification et apporter l’expertise carbone directement aux petits et moyens producteurs, comme José, afin qu’ils accèdent au marché de la certification carbone. Car c’est en soutenant des projets de cette taille-là qu’on verra se pérenniser des solutions locales et vraiment performantes du point de vue de la contribution carbone.
La solution développée par Inuk fait déjà l’objet d’autres articles publiés sur notre blog, donc on ne va pas trop entrer dans les détails ici. Dans les grandes lignes, nous avons décidé de construire notre mécanisme de certification sur la blockchain pour répondre à nos trois grands critères. En effet, cette technologie nous permet de :
  • Garantir la traçabilité et l’immédiateté de notre certification ;
  • Mener des “audits permanents” avec nos producteurs partenaires, c’est-à-dire s’assurer en temps réel que les crédits carbone ont bien été émis, et que les producteurs peuvent les vendre au juste prix ;
  • Lever les freins économiques, puisque nous ne faisons pas payer le coût de la certification aux producteurs.
Et pour réduire l’impact environnemental très élevé de la blockchain, nous avons opté pour un mécanisme qui ne repose pas sur l’exploitation minière, et donc nécessite des puissances de calcul assez faibles (plus de détails dans notre article sur la blockchain) : une sorte de chaîne de blocs “bas-carbone”, en somme.
Bien entendu, notre solution n’est pas parfaite, et elle est appelée à constamment évoluer et s’améliorer. Mais elle nous permet déjà de satisfaire les objectifs listés ci-dessus “by design” : plutôt que de tenter de rafistoler des labels existants, nous sommes partis des besoins que nous avons identifiés pour construire notre certification.
C’est une approche qu’on tâche d’activer pour tout ce qu’on fait : pas de solutionnisme magique, mais des réponses aussi concrètes et justes que possible. Et on espère au passage vous avoir aidé à mieux comprendre comment fonctionne la certification !
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